Les premiers chrétiens formaient-ils une Église unie ?


Les premiers chrétiens formaient-ils une Église unie ?

Voici comment l'historien Simon Mimouni résume la situation :

« Durant les années 30-150/180, les chrétiens n’ont pas encore réalisé l’utopie de l’unité, même si les sources transmises par ceux qui se proclament appartenir à la « Grande Église » affirment évidemment le contraire. De fait, le christianisme de la « Grande Église » s’est construit, tout au long des IIe et IIIe siècles, en élaborant des concepts nouveaux, comme ceux d’hérésie et de dogme. Ils lui ont permis de se construire aux dépens des autres tendances renvoyées dans l’ombre de la marginalité, aussi bien judaïsantes (nazoréens, ébionites, elkasaïtes…) que gnosticisantes (basilidiens, valentiniens…), marcionites (Marcion), montanistes (Montan) ou encratites (Tatien). De certaines de ces marges émergeront d’autres courants religieux : au IIIe siècle, c’est de l’elkasaïsme que naîtra le manichéisme. »
Simon Mimouni, dans Alain Corbin (dir.), Histoire du Christianisme, Seuil 2007.

Le fait est qu'une histoire simpliste d'un groupe institutionnel fondé par Jésus avec une liste de dogmes et de convictions précises est impossible.

Voici plutôt comment on pourrait décrire les premières décennies du christianisme, d'un point de vue historique :

Jésus de Nazareth était un prédicateur juif itinérant. Différentes communautés juives dans différentes villes ont entendu, puis accepté et transmis ses paroles. Elles ont forcément dû les interpréter parfois différemment aussi. Certaines disputes et différences théologiques s'observent encore dans le Nouveau Testament : comparez par exemple l'évangile de Jean avec l'évangile de Matthieu, ou bien le passage en Actes 15 avec les deux premiers chapitres de l'épître de Paul aux Galates.

Au premier abord, les chrétiens n'étaient pas « Chrétiens » (c'est-à-dire un groupe à part entière), mais plutôt des disciples juifs du Rabbi Jésus de Nazareth. Puis des non-juifs se sont convertis, ce qui a également posé certains problèmes (on peut l'observer aussi dans le Nouveau Testament en lisant le livre des Actes ou les épîtres aux Romains et aux Galates par exemple).

Plus tard, différents enseignements sont transmis au sujet de Jésus (ou se réclamant de Jésus ou des apôtres). Différentes communautés locales lisent et acceptent différents écrits (ceux qu'on a encore aujourd'hui dans nos Bibles, mais aussi d'autres : Évangile selon les Hébreux, Évangile selon Thomas, Enseignement des douze, ...).

Peut-on se mettre d'accord ? Y a-t-il des enseignements qu'il faut rejeter ? Ces questions sont présentes dès le début.

C'est donc l'autorité en place dans les communautés qui va régler ces débats. Cela va aboutir à des réunions (conciles), des échanges épistolaires, puis à des canons (listes d'écrits acceptables et reconnus comme inspirés) et à l'apparition de notions telles que « orthodoxe / hétérodoxe », « canonique / apocryphe » ou « dogme / hérésie ».

Mais d'où venaient les positions d'autorité ? Qui avait une telle influence ?

D'abord, il y avait les dirigeants des églises les plus influentes : Rome, Antioche et Jérusalem. Parmi les plus connus, on peut citer par exemple Clément (de Rome) ou Ignace (d'Antioche). À Jérusalem, il semble que Jacques (et peut-être d'autres membres de la famille de Jésus) aient eu le plus d'influence. Ensuite, cela pouvait venir d'un charisme particulier reconnu par l'assemblée (voir par exemple le prophète Agabos en Ac 11:27-28), ou d'un talent pour la défense de la foi (par exemple Justin Martyr). Plus tard, un critère important était le fait de pouvoir se revendiquer d'un apôtre. On observe cela dans des écrits apocryphes comme les Actes de Pierre, mais aussi chez certains Pères de l'Église qui énoncent ce critère comme fondamental dans le choix des livres canoniques et des enseignements orthodoxes (notamment Irénée de Lyon).

Même si différents conciles se réunissent et qu'une certaine tradition de la « bonne » doctrine se développe sous l'influence des puissances politiques ecclésiales, des divergences demeurent. Quand un débat éclate et qu'un concile prend position, ce n'est pas la fin du débat. La pensée continue dans les communautés en question. Des divergences apparaissent notamment entre les communautés de l'Orient et celles de l'Occident. Plus tard, ceux qui parlent et lisent le latin ne sont pas tout à fait alignés avec ceux qui parlent et lisent le grec. Etc.

Les premiers chrétiens des premières décennies n'ont simplement jamais été un seul groupe unifié et uniforme.

Mais peut-être qu'un peu de temps plus tard, avec notamment le concile œcuménique de Nicée en 325 et le fait que le christianisme devienne officiellement la religion de l'Empire, le christianisme arrive enfin à une unité d'enseignement et de pratiques ?

C'est ce que nous explorerons la semaine prochaine.

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