Peut-on vraiment savoir ce que la Bible veut dire ?Pour reprendre et appuyer mon propos de la semaine dernière, j'aimerais m'arrêter sur une idée reçue qui peut parfois causer problème. Certains pensent qu'il est aujourd'hui possible d'interpréter avec 100 % de certitude la Bible, et d'être ainsi tous d'accord. J'ai observé ce phénomène selon deux points de vue opposés. Savoir ce que dit la Bible grâce à la scienceÀ l'époque moderne, avec l'apparition notamment de l'archéologie et des sciences humaines, certains pensaient qu'il allait être possible de revenir au sens « original » des textes bibliques, et ainsi pouvoir tous être d'accord une fois pour toutes. L'idée est d'utiliser des méthodes objectives pour établir le sens du texte. Si les méthodes sont objectives, les conclusions seront unanimes. Ces méthodes « objectives » sont souvent généralisées sous le terme de « recherche historico-critique ». On confond alors les méthodes (qui sont scientifiques) avec l'idée d'un résultat unanime. Malheureusement, la recherche historico-critique ne peut que mettre en avant la diversité des interprétations possibles, et ne peut pas être la source de l'interprétation véritable. Voici ce que Schmid et Schröter disent à ce sujet : « Ni les autorités doctrinales ni les sciences bibliques qui emploient la méthode historico-critique ne peuvent fixer sans équivoque la signification des textes bibliques. Les premières sont elles-mêmes soumises aux changements historiques et à la faillibilité humaine, bien que l'Église catholique romaine (mais pas les exégètes catholiques en sciences bibliques) soit parfois d'un autre avis. La science biblique critique ne peut produire que des interprétations de la Bible liées à leur époque, au niveau respectif des connaissances ainsi qu'à la socialisation culturelle et religieuse de ses interprètes, et non pas des interprétations inattaquables valables une fois pour toutes. Il convient donc de relativiser l'ambition initiale des sciences bibliques de tradition historico-critique, bien qu'elle ait, sans le moindre doute possible, établi des bases importantes et indispensables pour les approches contemporaines de la Bible. »
Schmid et Schröter, p. 413
La science permet donc d'établir certaines choses, mais l'interprétation du texte biblique est forcément liée aux interprètes, à leurs époques et à leurs cultures. Savoir ce que dit la Bible grâce aux premiers chrétiensLe point de vue opposé, mais qui soutient toujours qu'il est possible d'interpréter unanimement les Écritures, est celui du rejet de la science ou de la modernité. Il y a alors parfois un désir de retourner aux écrits des premiers chrétiens, qui pourraient (enfin !) nous expliquer ce que la Bible veut dire. L'idée serait que eux avaient bien compris les Écritures, donc nous aussi nous pouvons les comprendre en cherchant les réponses dans les textes des « Pères de l'Église ». Et là, on tombe dans le piège initial. La boucle est bouclée. Quand on dit que les Pères avaient compris les Écritures, de quelles écritures parlons-nous ? Quel canon ? Et quels Pères de l'Église ? Y a-t-il une liste officielle ? Y a-t-il une limite historique ? À Nicée en 325 ? À la fin du IIe siècle ? Avant la séparation de 1054 ? Et à quelle Église faire confiance pour la transmission de cet enseignement ? J'espère que les précédents articles ont permis de voir qu'aucune réponse satisfaisante (historiquement) ne peut être donnée à ces questions. Ce sera, toujours, une question d'opinion et de choix théologique. Conclusion : Verba volant, scripta manent ?Il ne faut pas s'étonner que l'unité autour d'un texte soit difficile. Dans le judaïsme moderne, il y a la Torah et la Bible hébraïque (notre Ancien Testament), mais aussi la Mishnah, qui résume la loi, puis le Talmud, qui commente la Mishnah. Et, bien sûr, les rabbins d'aujourd'hui aident à interpréter le Talmud, et ils ne sont pas tous d'accord. Dans l'islam, il y a le Coran, mais aussi la Sunna (la tradition), qui est commentée ou décrite dans les hadiths. Et, bien sûr, les imams d'aujourd'hui aident à interpréter toutes ces sources, et ne sont pas tous d'accord. D'un point de vue plus philosophique, il faut reconnaître qu'un texte écrit ne représente jamais parfaitement une parole. Les paroles n'ont de sens que dans un dialogue. Si Amélie énonce quelque chose à Basile, Amélie a un contexte et une intention derrière ses mots. Basile a son propre contexte et sa propre compréhension des mots qu'il entend. Il comprend la parole d'Amélie à l'aide du contexte de leur conversation et de toute la communication non verbale qui l'accompagne. Si Cécile relisait une transcription des mots échangés, ce n'est pas donné qu'elle comprenne vraiment ce qui a été dit entre Amélie et Basile ! Tout est dialogue. Les Écritures nous invitent à un dialogue. Un dialogue entre nous, humains, et Dieu. Il est plus important de savoir dialoguer que de savoir donner la bonne réponse. Je ne pense pas que l'unité chrétienne se trouvera dans un sentiment d'interprétation totalement correcte de nos textes sacrés. Mais alors, peut-on être unis ? Je vous propose d'explorer ce sujet la prochaine fois ! |
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